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“Je me sens un peu rouillé” : Le Covid a-t-il tué notre vie sexuelle ?

L’allégement graduel des restrictions sanitaires était censé annoncer une explosion de désirs refoulés et un été de folie. Mais c’est beaucoup plus compliqué que ça.

Dans un pays où les rapports humains les plus naturels sont tabous, et où les lois condamnent durement – et clairement à tort – les relations sexuelles hors mariage, nous sommes dans l’une des sociétés qui souffrent le plus d’une vie sexuelle pleine de réprimandes.

Malgré tout, nous avons toujours appris à contourner le système et de jouir de nos libertés avec beaucoup de circonspection, et cette année on l’a imaginé être hédoniste, bacchanale et, surtout, l’année où on s’enverrait en l’air au max. Toute l’énergie refoulée des lockdowns, devait exploser en un été d’enfer. Mais est-ce que ça s’est passé comme ça ? Ou est-ce que Covid a ruiné nos vies sexuelles ? 

Avons-nous vraiment cessé de faire l’amour ?

Faute de données nationales, nous irons pêcher des statistiques chez les pays qui détiennent l’information. Chaque décennie depuis 1990, le Royaume-Uni réalise une enquête nationale détaillée sur les attitudes sexuelles et les modes de vie (Natsal). En 2020-21, elle a été remplacée par l’étude Natsal-Covid, plus modeste, qui a dressé un tableau compliqué : parmi les personnes vivant en concubinage, 78 % ont constaté un changement dans leur vie sexuelle, généralement pour le pire. 

Une personne sur dix a signalé des difficultés sexuelles qui ont commencé ou se sont aggravées pendant le confinement. Même si 63 % des personnes interrogées ont déclaré une certaine activité sexuelle, 75 % d’entre elles vivaient en cohabitation. Les temps ont inévitablement été encore plus durs pour les couples qui ne vivaient pas ensemble. Quant aux personnes qui n’étaient pas en couple, les mois de fermeture ont été catastrophiques : seule une femme sur 30 et un homme sur 10 ont eu un nouveau partenaire sexuel. 

Comment la peur d’attraper le Covid affecte-t-elle notre vie sexuelle ?

Il est totalement normal d’essayer d’éviter le Covid. Imane, 27 ans, vit à Casablanca et travaille dans le domaine de la fusion et acquisitions, elle utilise donc l’expression “budget risque” plus que la plupart d’entre nous. Et elle me dit : “Je ne veux pas gaspiller ce budget en passant du temps avec d’autres personnes que mes amis”. Et en même temps, elle ne veut absolument pas essayer de prendre son pied avec des amis : “Tenteriez-vous de ruiner une amitié à un moment où il est si difficile d’en créer de nouvelles ?” 

La distanciation sociale a-t-elle atrophié le désir d’intimité ?

Il y a une barrière mentale subtile mais gigantesque à franchir pour passer de deux mètres à zéro millimètre de distance. “Les gens n’ont pas forcément peur de la Covid”, dit Qayss. “Ils ont juste oublié comment être proches”. Cela n’a pas toujours une dimension sexuelle – de nombreuses personnes décrivent des angoisses liées à la proximité quotidienne et aux espaces bondés. “Nous avons perdu ces compétences sociales et sexuelles, ajoute-t-il, même si elles reviendront avec un peu de temps.”

Les confinements ont-ils ébranlé notre confiance en notre corps ?

Selon des statistiques anglaises, près de la moitié d’entre nous – 48 % – ont pris du poids pendant le confinement, et 29 % ont déclaré avoir augmenté leur consommation d’alcool. Mais cela a interagi avec des sentiments plus nébuleux de pessimisme et de faible estime de soi qui viennent avec trop de temps passé indoor. 

Jenny Keane, une éducatrice sexuelle qui animait un atelier en ligne sur l’orgasme lorsque la pandémie a éclaté, explique que les commentaires qu’elle recevait étaient “centrés sur la baisse de libido, le manque de désir et la faible estime de soi, qui constituent un cercle vicieux”. 

Tout le monde n’est pas dans le même cas. Pour Hanane, 28 ans, ce n’est pas une d’estime de soit, elle est plutôt frustrée par le fait qu’elle a une belle taille mais qu’il n’y a personne pour l’apprécier. “Je ne pense tout de même pas à lancer une page “OnlyFans”, mais je veux que quelqu’un témoigne du fait que je suis raisonnablement attirante et que je suis belle nue”.

Sommes-nous devenus obsédés par l’hygiène ?

Le sexe aseptisé est une contradiction dans les termes. Il n’est pas raisonnable ou possible d’être intime avec quelqu’un tout en maintenant des gestes barrières. 

Après 18 mois passés à essayer de nous séparer physiquement, il est assez difficile de cesser de voir la proximité comme une menace mais nous y arriveront petit à petit. 

Les couples qui cohabitent ont-ils vraiment la belle vie ?

Les problèmes d’une relation de cohabitation sont tout aussi différents. On avait l’habitude d’aller chacun de son côté dès le matin pour se retrouver en fin de journée mais en temps de confinement la majorité des couples ont dû passer énormément de temps ensemble. 

Et là, il y a le stress lié à la routine et à la répétition qui peut vous envoyer dans l’une des deux directions : Soit nous nous tournons vers la simplicité, donc le type de sexe que l’on recherche est généralement rapide et facile, soit on se déconnecte, et on a le sentiment d’être plus éloigné de la personne avec laquelle on se trouve dans la pièce.

Même avant la pandémie, avions-nous beaucoup de relations sexuelles ?

Aux États-Unis, une recherche de 2018 a révélé une nette tendance à la baisse : les milléniaux avaient moins de relations sexuelles que les boomers à leur âge, et les Zoomers en avaient moins que les milléniaux. 

Il faut donc avouer que notre grande disponibilité sur les réseaux sociaux et l’abondance – semblante – de contendants y est aussi pour quelque chose. 

Les gens n’ont pas nécessairement peur de Covid, il y a aussi le virtuel qui commence à prendre le dessus sur le réel.

Pourquoi ne sommes-nous pas revenus à la normale maintenant ?

La levée graduelle des dispositifs de confinement ne signifie pas que l’intimité revient. De nombreux obstacles continuent à bloquer, comme le fait que chacun travaille à la maison, 

Le sexe est une question de connexion, et la pandémie a porté sur la déconnexion – physique et émotionnelle : à un moment ou à un autre, nous avons tous été en mode autruche, à la recherche d’un certain équilibre vite devenu lointain. Pour y remédier, une éducation positive sur le plan sexuel est essentielle ainsi que la compréhension de notre corps et de nos besoins corporels. 

Tout cela concerne la majorité des habitants de notre chère planète mais n’oublions pas que vivre au Maroc (ou dans d’autres pays musulmans) présente d’autres niveaux de barrières qui ne contribuent pas à nous rendre plus équilibrés. L’importance d’instaurer de nouvelles lois prônant les libertés individuelles se présente comme facteur principal pour ne pas sombrer dans des modes de vie malsains. Un shift des mentalités à travers l’éducation est tout aussi nécessaire pour faire accepter les fonctions naturelles de notre corps sans stigmas et participer à maintenir une santé mentale recherchée de nos jours par tous.