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L’Union Maghrébine ou l’histoire essoufflée d’un espoir désemparé.

Jeudi 19 septembre 2019 s’est tenu le tout premier rendez-vous d’un éventail de conférences baptisé « MD-Talks », lancé par le journal « Maroc Diplomatique. »

Une initiative judicieuse qui aspire plus que jamais à soulever des questions, des réflexions et des débats pertinents autour de la situation géostratégique du Maroc et de son rôle majeur aussi bien au sein du continent africain qu’à l’international. Un nouveau « haut lieu » de rencontres instructives et d’échanges entre acteurs de renom issus de sphères et d’horizons divers. 

Pour cette première conférence sous le thème « Intégration régionale en Afrique : Le Maghreb entre guerre impossible et paix introuvable », nous avons eu droit à une panoplie d’interventions d’envergure articulées autour de panels variés, s’inscrivant tous, unanimement, dans une optique de démystifier la question africaine actuelle et d’en faire jaillir et décliner les jalons d’ouvertures potentielles. 

Le panel traitant de l’Union du Maghreb Arabe a particulièrement retenu notre attention. Le fait est que la « guérilla froide » entre le Maroc et l’Algérie n’a que trop duré et constitue un obstacle majeur et préjudiciable entravant considérablement l’essor potentiel d’une UMA forte, rayonnante et soudée. 

De plus, en dépit des nombreuses tentatives de réconciliation menées depuis les années 90, la recherche active d’une issue favorable à toutes les parties impliquées se poursuit encore, avec, pour toile de fond, la nécessité géostratégique de l’émergence d’une coopération intermaghrébine en bonne et due forme. 

Monsieur Mohamed Mbarki, Directeur Général de l’Agence de Développement de la Région de l’Oriental et ancien Ministre de l’Habitat, souligne, à cet égard, que l’Union politique et économique du Maghreb « ne représente pas seulement une nécessité régionale mais un véritable enjeu d’équilibre géostratégique mondial. » 

Entre le retour du Maroc à l’Union Africaine et le jeu désuet persistant d’une Algérie fermement et continuellement tournée vers le passé, ce conflit qualifié parfois d’ « artificiel », parce que tiraillé entre « une guerre impossible » et « une paix introuvable », est davantage accentué par des politiques de blocage et l’absence alarmante d’un dialogue constructif et permanent. 

Par ailleurs, nous sommes, paradoxalement, face à des pays animés par un idéal commun mais incapables de se mettre d’accord. Se pose alors la priorité fondamentale d’abandonner la culture d’altérité et de conflictualité dans laquelle nous baignons au profit d’une culture pacifiste prônant dialogues et concertations. 

Les intervenants nous invitent, à cette issue, à « repenser la Maghrébinité », à explorer de plus près les multiples facettes et expressions de sa personnalité, à comprendre et interroger son identité, sa complexité, ses singularités et sa pluralité, ses discours, ses contours, ses prises de positions, ses décisions. 

Ainsi, nous serons mieux munis, plus conscients, consciencieux et aptes à réagir et interagir avec ce conflit que les différents chercheurs et experts nationaux et internationaux présents qualifient de « multidimensionnel et transversal ». 

En outre, tous s’accordent également pour dire qu’il est inenvisageable de rebondir sur la question de l’UMA et de songer à bâtir un modèle de convergence si chacun des pays concernés peine à optimiser son propre modèle de développement. 

« Mais qui porte le Maghreb d’Aujourd’hui ? » 

La situation actuelle du Maghreb revient souvent, de manière fréquente et redondante ; dans les échanges formels, les discussions informelles, «les discours incantatoires », les débats géostratégiques et les thématiques abordées à l’échelle internationale…Mais qui porte véritablement ce Maghreb ? 

« Plus personne en réalité » ! Il y a, en effet, dilution du Maghreb dans la fluctuation d’échanges qui se le partagent et l’ébullition d’intérêts qui se le disputent. S’ajoute à cela une difficulté accrue à appréhender une « géopolitique du Maghreb » dans la mesure où chaque Etat membre en détient une, propre à lui, dont l’addition ne permet pas un prolongement complémentaire et une coalition effective et efficace. 

Monsieur Mbarki explique que « chacun de ces pays peut être considéré comme la périphérie d’un centre qui n’évolue pas à l’intérieur de lui-même. » En effet, il y a « dilapidation de la marque et du projet « Maghreb » » qui s’est clivé, d’une part, sous l’effet de grandes disparités et de facteurs d’inégalité séparatistes (nous citons par exemple la démographie, le PIB, la répartition géographique et territoriale…etc.) et, d’autre part, sous le joug pesant des rivalités et contentieux qui nourrissent et pourrissent les relations maroco-algériennes depuis des années. 

Monsieur Mbarki ajoute que « souvent, notre débat s’écoute lui-même » dans la mesure où « il est malheureusement trop détaché des réalités, truffé de chiffres et de concepts » souvent ambigus et déroutants. 

Par ailleurs, de nombreux facteurs exogènes imposent aux pays concernés des mises à niveau mais ne permettent pas une dynamique unitaire interne. Le fait est qu’il ne s’agit pas uniquement d’un conflit technique, mécaniquement et machinalement raccordable mais d’une géographie, d’une histoire. 

« La géographie a dessiné les contours du Maghreb, l’histoire a nourri la politique. Le Maghreb est une évidence, comme cette fameuse « chanson douce » murmurée à l’oreille des enfants…», poursuit sagement Monsieur Mbarki. 

Monsieur Nabil Bayahya, Associé Exécutif de Mazars, évoque, en réponse à Monsieur Amine Laghidi, Vice-Président du Conseil Africain des Mines et de l’Energie, qu’il s’agit « de la mise en place d’une « intelligence culturelle » avant de penser aux défis de l’intelligence économique ». Ce dernier nous explique que « si on arrive à travailler sur le « logiciel de la pensée », on parviendra alors à concilier et à réconcilier ». 

Quant à Madame Oumaima Kettani, Spécialiste en Communication Stratégique et Politique, elle se penche sur la nécessité de « mettre en place une politique globale qui s’articule autour d’une démarche sécuritaire conjuguant législatif, économique, fiscal, territorial…mais aussi culturel, cultuel et spirituel. » Elle insiste également sur l’extrême importance que revêt la connaissance de l’autre en citant, en guise de conclusion de son intervention, cet extrait du discours de SM le Roi Mohammed VI : « Les radicalismes, qu’ils soient ou non religieux, reposent sur la non-connaissance de l’autre, l’ignorance de l’autre, l’ignorance tout court. La « co-connaissance » est une négation de toutes formes de radicalisme. Et c’est cette co-connaissance qui nous permettra de relever les défis de notre présent tourmenté. Pour faire face aux radicalismes, la réponse n’est ni militaire ni budgétaire ; elle a un seul nom : Education. » De ce fait, un retour à notre essence et aux forces vives de notre nation ainsi qu’un effort de compréhension des autres parties s’imposent. Monsieur Brahim Fassi Fihri, Président fondateur de l’Institut Amadeus, insiste à son tour sur la nécessité « d’une réflexion multidimensionnelle » s’appuyant sur les « justices sociale, fiscale et territoriale comme mots clés de la reconstruction de notre modèle de développement. » 

Mais au fond, plus personne ne se mobilise pour le Maghreb. Il n’y a pas de prise de conscience collective quant à l’importance de remédier, concrètement et tangiblement, aux contraintes qui entravent l’émergence de l’UMA. Aucune sensibilisation n’est faite auprès de la jeunesse, pourtant poumon de la nation, considérablement placée en retrait, à l’écart du dialogue sollicité et du combat mené inlassablement pour la genèse de l’UMA. 

Aucune manifestation estudiantine ou campagne régionale ne sont menées pour lever les rideaux sur la situation maghrébine actuelle et mettre ses défis, enjeux et perspectives sous le feu des projecteurs. Il incombe donc, inévitablement, aux « Etats membres » de faire intervenir et interagir la jeunesse au cœur du tour de table duquel elle ne devrait pas être marginalisée. D’autant plus, rappelons-le, que la « Guerre du Sahara Occidental » et la naissance du Front Polisario puisent leurs racines à l’intérieur d’un mouvement, à l’origine, estudiantin. 

Alors « Comment construire le Maghreb d’Aujourd’hui et par quel bout commencer ? Où loger sa Gouvernance ? » 

Des questions complexes et ardues auxquelles nos intervenants tentent d’apporter des réponses aussi éclairantes et illustratives que possibles. Monsieur Mbarki, plaide, à ce niveau, le pragmatisme et rappelle que nous sommes essentiellement confrontés à un double enjeu : le « Maghreb des Etats » et le « Maghreb des Peuples ». Le constat général véhicule une véritable unité des peuples qui ne se traduit, malheureusement, pas en résultats politiques. 

En effet, la dynamique populaire du Maghreb l’emporte amplement sur les obstacles d’inertie, de blocage et d’enfermement des pouvoirs politiques dirigistes en conflit. L’un des exemples les plus significatifs nous est fourni par la victoire de l’Algérie à la CAN qui a eu raison de toutes les séparations et qui a systématiquement engendré un bonheur commun et réciproque aussi bien au Maroc qu’en Algérie. 

« Si la géographie nous sépare, nos cœurs n’ont définitivement pas de frontières… ». 

Cette belle inspiration poétique est cependant brutalement interrompue par la réponse très franche de Monsieur Gabriel Banon, Expert en Géopolitique et Consultant International, qui considère que les débats menés autour de la question de l’UMA relèvent, au fond, d’une véritable « masturbation intellectuelle ». En découle l’outrage de certains invités quelque peu offensés par la spontanéité de ce propos qu’ils jugent légèrement déplacé et incompatible avec l’extrême fragilité de ce débat d’envergure. Monsieur Banon ne manque pas de se rattraper en citant la définition exacte de la « masturbation » dans le dictionnaire français à savoir « agitation stérile », plaidant que c’est l’expression qui a lui a semblé la plus imagée dans le contexte présent où de nombreux discours sont menés sans résultats escomptés, probants et fructueux. 

Finalement, n’a-t-il pas raison ? Ne sommes-nous pas, à notre insu, dans cet âpre scénario fade et fétide que nous avons visiblement du mal à digérer, gérer et diriger ? Ces conciliations et réconciliations tant souhaitées ne requièrent-elles pas, avant tout et au-delà de tout, des concessions de la part des pouvoirs impliqués ? Le sort et l’essor de l’UMA sont-ils du ressort des Etats ou des Peuples ? S’agit-il, au fond, d’un « espoir réalisable ou d’un leurre diplomatique ? » 

Des hauts et des bas, des « oh » et débats…Il serait temps, désormais et plus que jamais, d’engager tous les acteurs concernés dans un passage à l’action en vue d’abolir la fiction illusoire qui gravite autour de l’avenir de la région et de s’affranchir des obstacles handicapants qui empêchent son épanouissement et gangrènent ses promesses d’Union. 

Il s’agit-là, finalement, d’entraîner une prise de conscience collective quant à la nécessité de préserver, raccommoder, panser et repenser notre Maghrébinité égarée, dans l’espoir d’asseoir cette « Mère Afrique que nous voulons ». 

🧠 Opinions : Les points de vue exprimés dans cet article sont strictement ceux de l'auteur et ils ne reflètent pas forcément ceux de Pokemag